3600m d'altitude, le lac de Karakul, 200km de Kashgar, 200km du Pakistan. Je retire difficilement mon sac a dos, j'ai oublie combien il n'est pas ratique d'avoir des manches longues. La neige entoure le lac, et les nuages se confondent avec les sommets environnant. Il est impossible de faire la difference entre le ciel et les montagnes. Est-ce d'ailleurs deja le ciel ici? Imaginer que derriere la brume, tout autour de moi, se cachent des sommets qui atteignent doucement plus de 7000m... Entre le blanc et le blanc, les eaux du lac refletent... du blanc...
Dans tout ce blanc, quelques petites taches vertes laissent devinder des prairies dissimulees ca et la. Dans ces taches vertes, quelques petites taches noires sont disseminees ici et la-bas. Des yacks. Un peu plus loin, ou beaucoup plus loin peut-etre, d'autres taches, grises. Des rochers. Parmi toutes ces taches vertes, noires et grises, une autre minuscule tache, rouge, celle-ci, se traine peniblement dans le paysage. C'est mon visage, congele et mal oxygene, qui disparait parfois derriere un appareil photo, pour immortaliser la vision de tout ce blanc.

Il est 16h, et 5 heures auparavant, j'etais dans un des endroits le splus chauds de la Chine, a la lisiere du desert de Taklamakan, 2500m plus bas, 200km plus loin. Entre Kashgar et Karakul, denivelee feroce, et paysages sans aucune comparaison possible de beaute, de hauteur, de creativite de formes et de couleurs. Du moins, je presume (a en croire tout ce qu'on peut lire sur cette route legendaire, la Route du Karakoram, vers le Pakistan), car le bus qui m'a monte jusque la etait mal eare, et ses vitres couverte de buee. Mes efforts pour tendre et tordre mon cou sont restes vain, je n'ai rien vu.
Nuages et buee sur le paysage, je dois avouer que le resultat n'est pas a la hauteur de mes esperances. Par ailleurs, une nouvelle fois, en plein territoire Ouigour, un enorme portail style chinois, un immonde restaurant d'altitude chinois, un repas chinois, et un chinois qui m'indique la yourte Ouigoure ou je suis cense passer la nuit. Les seuls Ouigour du coin tentent miserablement de vendre quelques chapeaux ou quelques colliers artisanaux, et un repas dans leur maison, un peu plus authentique que le batiment qu'on a pose sur le bord du lac.
Nuages et buee dans son esprit, altitude qui lui vrille le crane, apres 2 heures sure place la petite tache rouge decide de redescendre urgemment a Kashgar. Je pose peniblement mon sac a dos sur le bord de la route, et guette le moindre vehicule qui pourrait me sauver. Il n'y a plus grand monde, il commence a se faire tard, et je n'ai pour seule compagnie que quelques locaux et deux chiens loups qui batifollent sur les cailloux. Les gars qui passent me jettent des regards intrigues, ou peut-etre compatissant, et repartent en chevauchant leurs motos aussi fierement et agilement qu'un Kazhak chevaucherait un cheval. 18 h, un camoin passe finalement sur la route, je leve le bras, il freine, il s'arrete. Je grimpe, il va a Kashgar, je suis chanceux, autostop, 100% de reussite.

Nous descendons, les nuages et la buee de mon esprit se dissipent petit a petit. Nous descendons encore, et les nuages dans le ciel se dissipent aussi, petit a petit... J'ai devant moi le pare-brise du camion, immense ecran qui projete alors un des films les plus epoustouflant que je n'ai jamais vu. Je comprend alors que la Route du Karakoram soit si celebre. Des monts a plus de 7000m dominent du haut de leurs falaises vertigineuses une route posee au fond de vallees abruptes , d'anciens glaciers laissent leurs traces decoupant dans le paysage des saillies aux couleurs et aux contrastes qui semblent etre passees entre les mains de peintres impressionnistes, des massif de gres rouge dont les formes ont ete faconnees il y a dix mille ans par des geants en colere...

Il est 22h30, retour a mon hotel. Les nuages et la buee dans mon esprit ont maintenant cede la place a une nuit etoilee, ou la lune illumine pensees et souvenirs, qui resteront a jamais graves derriere la petite tache rouge... qui commence doucement a retrouver sa teinte rose, et qui sourie avant de s'endormir.
 
 
Kashgar, Xinjiang.
Chine, Kirghistan, Pakistan, Kazakhstan.
Ouigours, Mongols, Hans, Kazakhes, Kirghizes.

Le bout de la Chine, le bout de mon voyage. Kashgar, route de la soie, plus de 2000 ans que les peuples d'Asie, d'Afrique et d'Europese melangent dans ses rues grouillantes de vendeurs, d'acheteurs, de mandiants, de voleurs, de passants. Plus de 2000 ans qu'on y achete, qu'on y vend, qu'on y negocie, qu'on y echange, qu'on y mendie, qu'on y vole, qu'on y passe, qu'on y boit du the. Kashgar m'appelle depuis 6 mois, de sa voix lointaine, exotique et mysterieuse, dont l'echo dont l'echo a raisonne sans cesse en moi comme une promesse. Une promesse que Kashgar de debat pour tenir, alors que je decouvre ses rues, ses avenues, ses recoins caches et son bazaar.

Quoi penser de cette ville mythique, ou plus de 2000 ans d'histoire se bousculent. Ou chaque detail lutte aprement contre le temps et contre les assauts constants de la mondialisation. Comment reagir face au spectacle troublant d'une ville construite en boue et en briques, dont les toits en paille reposants sur des poutres de bois tortueux, s'appuient contre des immeubles de beton aux couleurs facon desert caricaturant grossierement l'architecture arabe. Que ressentir en observant l'immense grande roue, attraction hideuse qui emmerge de ce qui pourrait etre la Tour de Babel telle que Bruegel l'avait imaginee au XVIeme siecle...

Kashgar, Babel, Monopoly... Je construis une maison en torchis a flanc d'une colline en torchis. Je lance les des, double 6, case "chance", je gagne a la loterie, je suis Han. Je detruit trois maisons en torchis a flanc de colline en torchis, et je construis un hotel en beton. Tu es Ouigour, tu tombes sur mon hotel et tu payes. Tu relance les des, 5, case "prison". Mais Kashgar-Monopoly manque de cases, alors on en rajoute en on en invente. Boulevard du Peuple, Avenur du Milieu, Rue de la Chine. Et tous les petits pions Ouigour a la peaux sombre et aux yeux parfois bleus tombent peu a peu dans la case "prison"...

Mais Kashgar-Babel a la force, la force de lutter contre les invasions du temps qui passe, et je me perd dans ses rues en souriant, espionnant le moindre de tail, tentant de decouvrir et d'imaginer la ville telle qu'elle etait il y a longtemps. Les memes gestes qui ne trompent pas, gestes que l'on effectue depuis si longtemps qu'ils sont devenus des reflexes. Des mains qui operent sans que le cerveau n'est plus besoin de les commander. On cuit le nan dans un four qui ressemble a un tandoor, et on retire agilement le precieux pain au bout d'un long crochet. On depecea la hache un mouton qui pend en pleine rue, et les meilleurs morceaux sont rapidement vendus. On cire prestement les chaussures de telle maniere que leur proprietaires repartent en marchant sur des etoiles. On brode les calottes assis au fond d'une cour poussiereuse, sans preter attention a ses doigts qui guident l'aiguille comme par magie a travers la soie. On grille le kabab sur des braises ardentes qui se sont presque preparees toutes seules.
Je sais au fond que Kashgar lutte dans un combat sans merci, et qu'elle est seule face a ses adversaires, nombreux et impitoyables. Mais j'ai confiance en elle, je dois, je prefere.

Apres Kashgar, ce sera comme le retour. Apres le bout de mon voyage, un retour vers la maison, encore un tres long chemin, une tres longue route a travers le Xinjiang et la Chine, a travers de nombreux villages qui restent a decouvrir et de nombreuses etapes. Et chaque village, et chaque etape, palera en faveur de Kashgar, et renforcera ma confiance en elle, en son esprit fort et farouche, comme il y a 2000 ans.

Kashgar, oasis au milieu du desert de sable.
Ouigour oasis au milieu du desert Han.