Korla, la gare, 17h54. Assis dans un hall blanc et bleu ou l'air n'a pas ete rafraichi depuis le derneir ete, je regarde en arriere sur les deux semaines qui viennent de s'ecouler au Xinjiang. Les images du film qui s'est joue dans cette salle defilent dans mon esprit comme dans un end Credits, sur fond de "Hard Sun". Eddy Vedder gratte sa guitare... On aurait pu appeler ca un film d'aventure. Bien-sur, en surface, prendre le bus au milieu du desert, lever le voile sur les tresors d'une civilisation, passer trois jours dans un train, ou encore se perdre sur des pistes poussiereuses eloignees de tout, ca pourrait avoir un gout de bon film d'aventure. Avec toutes les images qu'on peut coller dessus; le coucher de soleil sur les dunes, le vent qui souleve le sable au loin, le soleil impitoyable, la foule des ruelles tout autour... Mais plus loin que les images, plus loin que ce qu'on voit, plus loin que ce qui est projete sur le grand ecran blanc devant moi, il y a ce qui est projete au fond, en dedans, ce que seul moi peux voir. Projection privee sur la toile tendue au fond de mon coeur... Toile qui reste marquee a jamais des images qu'on lui a projete, qui garde les nuances et les tons de tout ce qu'elle a vu, toile qui accumule toutes les couches colorees, imprimee en elle. Et pour ce film la, le prix du ticket quel qu'il soit, en vaut largement la peine...
Si une odeur exotique et allechante au detour du dedale d'un marche peut etre efface en un clin d'oeil en tournant le coin d'un etale, par une effluve nauseabonde, j'ai decouvert qu'une joie immense, une plenitude absolue, une foi demesuree, pouvaient etre ebranlees et detruites en un eclair par un simple mot... J'ai decouvert qu'une profonde solitude, qu'une impuissance immense face aux choses, ou qu'une tristesse insondable pouvaient etre evincees et disparaitre totallement grace a un simple sourire. Et j'ai decouvert que toutes ces sensations pouvaient se bousculer les unes apres les autres, en l'espace de deux heures, sans prevenir, et gagner les tres-fonds puis remonter jusqu'aux sommets... en un clin d'oeil.

Alors au debut, on lutte, parce qu'on veut maitriser les choses, parce qu'on est fort. Mais rapidement, on se rend compte qu'en fait, on lutte parce qu'on a peur de ressentir, parce qu'on a plus l'habitude d'etre heureux, de se sentir seul, d'etre comble, d'etre triste, parce quelque chose se passe dedans, qui nous laisse a sa merci. Alors, finalement, on finit par s'ouvrir. Ne plus resister. On s'ouvre et on jette la cle tres loin, pour ne plus jamais avoir la tentation de refermer la porte qui mene a la vie. Et on vit, simplement. On se laisse aller aux vagues et aux courant de l'ocean des sensations qui nous ennivre et nous attire au large, tres loin des cotes ou on pourrait poser le pied a terre et se reposer de ressentir...
Et la, c'est seulement la qu'on est vraiment fort, libre, confiant. Parce qu'on sent son coeur qui bat, qui tressaille, qui accelere, qui se calme... et on vit... Et la, apres s'etre tant ferme et protege, on decouvre comme c'est bon de ressentir, de laisser tout nous envahir, sans preter aucune attention aux consequences, dans le seul but de ressentir. Et la, on ne veut plus s'arreter, pour rien au monde.

Et on en demande encore.