Au ciel, il y a le Paradis. Sur terre, il y a Suzhou et Hangzhou. Je me repasse en boucle ce proverbe chinois, et je tente de comprendre ou j'en suis...

Nous somme le 6 juillet. Dans quatre jours je decolle direction Londres. Je ne rentrerai pas par le Transsiberien comme prevu initialement. Je fais le bon choix, pas de regrets. Je viens de passer 17 semaines en Asie. 17 semaines avec pour maison mon sac a dos, et les differents endroits ou j'ai echoue. Je me souviens le jour ou j'ai decide de partir... un jour de Jullet 2009, il y a un an preciement. Entre Juillet 2009 et fevrier 2010, 8 mois s'ecoulent. Je bosse, je dors, je sors rarement, je sers des bieres, je vends des tattoos, je rigole aussi un peu, occasionnellement. 20 fevrier 2010, je quitte mon boulot. 26 fevrier, je debarque a Grenoble pour quelques jours, comme un petit pelerinage. Ca fait 2 ans que je n'ai pas mis les pieds dans ma ville natale, que je n'ai pas vu mes parents et mon frere, 2 ans ou plus que je n'ai pas vu certains de mes amis. Grenoble, comme une derniere visite au cas ou il m'arriverait quelque chose en voyageant, comme un superstition debile? Impossible a dire... Le 27 fevrier au soir, resto avec mes amis. le noyau dur de ma vie. Certains d'entre eux, je ne les ai pas vu depuis plus de 6 ans. Ils sont toujours les memes, nous rigolons, nous mangeons, nous buvons... Plaisir, surprise, securite absolue; savoir que peu importe le temps qui passe, mes racines sont toujours profondement ancrees dans la terre dauphinoise. Rien n'a change de ce que nous vivions avant, du moins pour cette petit bulle d'amitie que nous partageons. Bien-sur, l'eau a coule dans le tortueux lit de la riviere du temps, emportant graviers et cailloux, elimant ses rives, changeant un peu le paysage. C'est comme revenir dans un village apres une longue absence. Un ancienne maison fragile a ete remplacee par un petit immeuble de trois etages, la vieille eglise s'est paye un tout nouveau clocher, la petite epicerie a ferme au proft d'un supermarche... Mais dans le fond, les choses sont pareilles a celles d'antan. Et en marchant dans les ruelles, on se perd et on se retrouve aux memes endroits, machinalement, snas meme s'en rendre vraiment compte. Certains de mes amis se sont maries, ont un gosse, d'autres se sont empates et ont les temps grisonnantes, d'autres encore n'ont pas bouge d'un poil. Et eux; que voient-ils de moi? Que suis-je devenu? mes choix de vie, mes tattoos, ma barbe?

Quelques semaines plus tard, je propulse ma moto sur les chemins poussiereux du Mondokiri, au Cambodge. Tellement loin de tout cela. Pourtant, en faisant partie integrante. M'eloignant de tout, me rapprochant pourtant chaque seconde de moi-meme. Retrouvant les pieces de mon Puzzle, perdues depuis ma naissance, probablement eparpillees quelque part en Asie, en France, en Belgique, et au Pays de Galles... au Pays de Galles... Regroupant les bouts de moi-meme, mes pieces, mes multiples eclats, je finis par retrouver le chemin sur lequel mes pas s'enchainent naturellement, sans l'ombre d'un doute, sans une hesitation, guides par une boussole dont l'aiguille pointe la direction du vrai Moi. Constamment orientee dans la bonne direction, montrant quel route prendre a chaque croisement, me rapprochant de cet horizon rassurant, ou le soleil brille chaudement... de cet horizon rassurant et pourtant si aventureux et imprevisible...

Nouveau croisement parmi les avenues de Hangzhou. La fin d'un chemin, le debut d'un nouveau. Dans 5 jours, un voyage prend fin. Dans 5 jours, un voyage commence. Dans 5 jours, ma vie continue, simplement.
 
La vieille ville de Yarkand. Un enchevetrement de rues, de ruelles, d'allees, d'impasses, de chemins. De la terre, de paves, du bitume, descailloux. Des maisons, des batisses, des balcons par dessus, amonceles sans ordre et sans logique. Torchis couleur paille, briques ocres, frises vert pastel delavees par 200 ans de soleil, vieilles poutres en boir tordu nourri de la poussiere, de la terre et de la fumee des fourneaux. Un tracteur cale derriere moi, un velo electrique me klaxonne, une cariolle tiree par un ane me depasse, une voiture rouge petant me double, une vieille cachee sous son voile manque de me bousculer, un petit taxi a trois roues m'interpelle, une bicyclette agile me coupe le passage, une moto petarade sous mon nez... Le tout soulevant la poussiere qui vient encore nourrir les poutres en bois d'une nouvelle couche brune.
On martele le fer incandescent et rougeoyant pour faconner des serpes qui moissonneront les bles d'ici quelques semaines. On ventile les braises qui grilleront les kabab pour le dejeuner, dans une heure. On tourne le bois pour obtenir un bon calibre et le fine forme pour les pied des lits traditionnels. On fouille sous une montagne de ferraille pour degotter la piece qui vient de casser dans son chariot. On soupese et on cogne pour mesurer la maturite de la pasteque aux lignes vertes. On aiguise les lames des couteaux artisanaux qui pendent a chaque ceinture de chaque homme de la region. On meule les peles sous une pluie d'etincelles rouges, oranges et jaunes.

Docteur, branches le scanner, mon cerveau est au paroxisme de son actvite et de ses capacites d'integration. Ce doit etre interessant a voir. Tous les sens en eveil, j'en manque encore. J'ai pourtant les yeux grands ouverts, les oreilles aux aguets, les narines orientees vers la moindre odeur, mais je manque d'yeux, d'oreilles et de nez. Pleine ebulition mentale et sensitive, dans une decouverte absolue d'un univers inconnu et lointain. mais je ne suis pas le seul... descendu de ma soucoupe volante pour decouvrir la planete Terre, "je viens en paix", je suis a moi tout seul, un univers inconnu et lointain.
Decouverte contre decouverte, qui apprend le plus?...
Si mes yeux sont emplis de tout ce qu'ils peuvent voir autour de moi, tout les yeux autour de moi sont emplis de ce qu'ils voient au centre de tout cela. MOI. Je guette le forgeron, on guette le moindre de mes pas... Je m'arrete devant un tourneur de bois, on s'arrete en extase devant moi... Je marque une pause devant un boucher qui coupe sa viande, on marque dix pauses dans savie de tous les jours a Yarkand... Je prends, tu prends... mais je suis seul a prendre, et ils sont des centaines...
Je prend une minute pour photographier un artisan, et des que je leve les yeux de mon objectif, me voila entoure d'une vingtaine de personnes curieuses qui me regardent, me sourient, me touchent, m'osculent, me devisagent. Mon bras est-il peint? Les dessins s'en vont-ils si je frotte? Des yeux incredules braques sur moi, des doigts inquisiteurs qui caressent la peau ou je suis tatoue pour savoir comment ca fait, si c'est en relief, si c'est ruguex... non, c'est juste de la peau en couleur...
On m'invite a m'assoir et a boire le the, et apres quelques secondes me voila entoure d'une trentaine de curieux, vieux aux yeux malicieux, enfants au sourire eclatant, femmes au visage fier et merveilleux... tant de curiosite, tant d'avidite de decouverte, tant de sympathie, tant d'ouverture, et tant de fierte en meme temps. Les yeuxd'un peuple braque sur moi, les yeux du peuple Ouigour, sympathique et fier, honnete et fort. On me raconte des histoires auxquelles je ne comprend rien, on me parle de choses dont je n'ai aucune idee dans une langue a mille lieux de la mienne, on me pose des questions pour lesquelles je n'ai aucune reponse... Je souris simplement en confirmant de la tete... Un vieux semble me crier dessus, d'une voix forte, presque en colere... je repond au hasard "parancia", francais... un large sourire illumine alors son visage ride, et attrape ma main pour la serrer comme personne n'a jamais serre ma main... je lis sur son visage une joie et une fierte dont je ne suis pas digne... mais une dignite qu'il m'offre le temps de cette poignee de main...
Je sors mon Lonely Planet, je montre des cartes. Je voyage en Chine, certains ici voyagent grace a oi, et repetent pensivement "Parancia...", les yeux vers le ciel... je m'essayes au Ouigour sous les rires et les exclamations... mon publique... Je montre des photos, on me demande des photos, encore plus de monde autour de moi, qui rit et qui s'exclame... mon publique...

So never refuse an invitation, never resist the unfamiliar, never fail to be polite and never outstay the welcome.

Je remercie, je me leve,etje sers des mains inconnus dont je peux sentir la sincerite en retour. Echange de regards, contact simple mais suffisant pour comprendre... puis un peu plus loin, le meme scenario pour ceux qui n'etaient pas present a la premiere representation.

Personne ne sait qui je suis, Olivier ROULIN, personne ici...
Pourtant, tout le monde me connait...

I am Legend
 
 
Kashgar, Xinjiang.
Chine, Kirghistan, Pakistan, Kazakhstan.
Ouigours, Mongols, Hans, Kazakhes, Kirghizes.

Le bout de la Chine, le bout de mon voyage. Kashgar, route de la soie, plus de 2000 ans que les peuples d'Asie, d'Afrique et d'Europese melangent dans ses rues grouillantes de vendeurs, d'acheteurs, de mandiants, de voleurs, de passants. Plus de 2000 ans qu'on y achete, qu'on y vend, qu'on y negocie, qu'on y echange, qu'on y mendie, qu'on y vole, qu'on y passe, qu'on y boit du the. Kashgar m'appelle depuis 6 mois, de sa voix lointaine, exotique et mysterieuse, dont l'echo dont l'echo a raisonne sans cesse en moi comme une promesse. Une promesse que Kashgar de debat pour tenir, alors que je decouvre ses rues, ses avenues, ses recoins caches et son bazaar.

Quoi penser de cette ville mythique, ou plus de 2000 ans d'histoire se bousculent. Ou chaque detail lutte aprement contre le temps et contre les assauts constants de la mondialisation. Comment reagir face au spectacle troublant d'une ville construite en boue et en briques, dont les toits en paille reposants sur des poutres de bois tortueux, s'appuient contre des immeubles de beton aux couleurs facon desert caricaturant grossierement l'architecture arabe. Que ressentir en observant l'immense grande roue, attraction hideuse qui emmerge de ce qui pourrait etre la Tour de Babel telle que Bruegel l'avait imaginee au XVIeme siecle...

Kashgar, Babel, Monopoly... Je construis une maison en torchis a flanc d'une colline en torchis. Je lance les des, double 6, case "chance", je gagne a la loterie, je suis Han. Je detruit trois maisons en torchis a flanc de colline en torchis, et je construis un hotel en beton. Tu es Ouigour, tu tombes sur mon hotel et tu payes. Tu relance les des, 5, case "prison". Mais Kashgar-Monopoly manque de cases, alors on en rajoute en on en invente. Boulevard du Peuple, Avenur du Milieu, Rue de la Chine. Et tous les petits pions Ouigour a la peaux sombre et aux yeux parfois bleus tombent peu a peu dans la case "prison"...

Mais Kashgar-Babel a la force, la force de lutter contre les invasions du temps qui passe, et je me perd dans ses rues en souriant, espionnant le moindre de tail, tentant de decouvrir et d'imaginer la ville telle qu'elle etait il y a longtemps. Les memes gestes qui ne trompent pas, gestes que l'on effectue depuis si longtemps qu'ils sont devenus des reflexes. Des mains qui operent sans que le cerveau n'est plus besoin de les commander. On cuit le nan dans un four qui ressemble a un tandoor, et on retire agilement le precieux pain au bout d'un long crochet. On depecea la hache un mouton qui pend en pleine rue, et les meilleurs morceaux sont rapidement vendus. On cire prestement les chaussures de telle maniere que leur proprietaires repartent en marchant sur des etoiles. On brode les calottes assis au fond d'une cour poussiereuse, sans preter attention a ses doigts qui guident l'aiguille comme par magie a travers la soie. On grille le kabab sur des braises ardentes qui se sont presque preparees toutes seules.
Je sais au fond que Kashgar lutte dans un combat sans merci, et qu'elle est seule face a ses adversaires, nombreux et impitoyables. Mais j'ai confiance en elle, je dois, je prefere.

Apres Kashgar, ce sera comme le retour. Apres le bout de mon voyage, un retour vers la maison, encore un tres long chemin, une tres longue route a travers le Xinjiang et la Chine, a travers de nombreux villages qui restent a decouvrir et de nombreuses etapes. Et chaque village, et chaque etape, palera en faveur de Kashgar, et renforcera ma confiance en elle, en son esprit fort et farouche, comme il y a 2000 ans.

Kashgar, oasis au milieu du desert de sable.
Ouigour oasis au milieu du desert Han.
 
Amdullah est un jeune Ouigour qui court et qui s'amuse dans les rues poussiereuses de la petite ville de Turpan. Il fait parfois tres chaud, et le soleil impitoyable du Xinjiang brule le haut de sa tete d'enfant. Mais il s'en fiche, et il court avec ses camarades a travers les vignes, entres les maison en torchis, entre le peupliers, parmi les moutons qui belent et qui fuient, et les cirs des enfants raisonnent contre les murs bruns. Amdullah est musulman, et comme tout garcon de son age, il effectue quotidiennement les 5 prieres a Hallh, regardant vers l'ouest, en direction de la Mecque. Amdullah va a l'ecole Ouigoure, et apprend le Ouigour, la langue de sa region natale, les mathematiques, et un peu de chinois. Il a egalement des lessons d'anglais, et son professeur est tres impressionne car Amdullah a une facilite deconcertante pourparler cette langue. A chaque fois qu'il leve le doigt pour repondre a une question, il se met debout, bien droit, et prononce clairement les mots juste que son professeur attendait, dans un accent parfait. Son professeur sourit, fier de son meilleur eleve.
Parce qu'il parle parfaitement l'anglais, le jeune garcon devient guide et emmene des dizaines de visiteurs a la decouverte des nombreuses merveilles qui entourent sa petite ville perdue au milieu des sables du desert. Les Montagnes de Feu, les grandes dunes de sable, les rues enigmatiques des villages voisin de Tuyoq, les ruines d'anciennes cites perdues dans le desert, a moitie englouties par les sables, jadis grands comptoirs sur la route de la soie. Il est un guide renomme, de par sa connaissance de l'histoire du pays, de par sa connaissance des meilleurs endroits de la region, de par son aisance en anglais, et parce qu'une lueur particuliere brille dans ses yeux Ouigours, bruns amande. Il conduit les visiteurs a travers tous ces paysages, au volant de la Jeep qui bondit farouchement entre les dunes et les rochers du desert, ou sur l'ambryon de route. Le jeune homme travaille dur, et emmene chaque jour les visiteurs qui reviennent, plein de gratitude pour leur guide. Il decouvrent grace a lui le coucher de soleil sur les dunes de sable, les couleurs des montagnes, et le ciel parseme de millions d'etoiles dans la nuit au milieu de nulle part. Certains japonais pleurent meme devant ce spectacle, en sentant la tranquilite et la puissance absolue qu'il degage.

Amdullah est un homme sans age, a la demarche boiteuse car sa jambe droite est handicapee. Une cicatrice lezarde son visage tout autour de son oeil gauche, mais son regard n'a rien perdu de sa lueur particuliere qui brille dans ses yeux Ouigours, bruns amande. Il me conduit a travers les grandes avenues de Turpan et enfin quitte la ville pour s'engager sur l'autoroute qui coupe le desert quelque part entre son milieu et ailleurs. Il parle un anglais hesitant, et heurte sur certains mot. Il ne pratique plus assez l'anglais et peine a entretenir un niveau correct. Je lui ai demande de me conduire aujourd'hui aux Montagnes de Feu et aux dunes de sable. Il est particulierement heureux de mon choix, car cela fait maintenant plus de deux ans que personne ne lui a demande de voir les dunes de sable. Il peut donc enfin retourner dans l'endroit qu'il prefere, parmi tous ceux qu'il connait., et cela ravive enormement de souvenirs en lui qui remontent a plus de 10 ans. Sa petite camionnette chinoise tresaute peniblement le long des kilometres, et m'arrete devant les Montagnes de Feu, premiere etape de l'apres midi. Je leve les yeux vers les hauteurs, et sans rien dire, me laisse ecraser par les couleurs, les formes, le bleu du ciel irreel et le rose des rochers surrealiste. Je baisse les yeux vers le portail, la caisse, les chameaux ranges en ligne droite, et les touristes chinois qui payen pour passer une grille qui entoure... le desert... Amdullah et moi echangeons un regard perplexe, et il me propose d'aller un peu plus loin ou le paysage est encore plus somptueux, et ou aucune grille ne gache sa vue. Il me conduit ensuite aux dunes de sables, premices du desert de sable aride qui s'etend a des centaines de kilometres plus loin. Nous traversons les champs d'exploitation petroliere chinois, ou les puits et les forages poussent comme des champignons depuis environ dix ans, de part et d'autre de la grande route goudronnee. Il ne peut pas m'accompagner pour marcher dans les sables, car il se deplace difficilement et lentement. Je m'assois donc tout seul sur la crete d'une collind de sable, et je contemple. Et j'ecoute. Je n'entend que le sifflement de la pression de mon sang dans mon corps. Rien d'autre. Rien. Le sable brun, la chaleur du soleil, la puissance totale de tout ce qui m'entoure, et que les mots decrivent si mal... En fait, je comprend alors que certains visiteurs japonais aient pu pleurer en voyant ce spectacle, en sentant la tranquilite et la puissance absolue qu'il degage.

Sur le chemin du retour, nous nous arretons dans un petit village vers 21h30, Amdullah doit prier, et s'engouffre dans une petite mosquee en torchi au coin de la rue. L'attendant de l'autre cote de la rue, je suis invite a boire le the et a manger du pain Ouigour et des raisins secs dans une maison, objet absolu de curiosite de la famille qui y vit. Amdullah et moi reprenons alors la route, et il prend le temps de me declarer que Turpan etait ainsi il y a 10 and... je ne sais pas quoi repondre, alors je ne dit rien... Sa petite camionnette chinoise tresaute encore, puis s'arrete finalement, en plein milieu de la route. Il fait nuit, nous sommes au milieu de rien, et elle nous fait le coup de la panne. Amdullah et noi echangeons de nouveau un regard perplexe, et decidons de rentrer en stop. Une voiture nous ramasse et nous ramene en ville. Je suis desole pour sa voiture, le paie pour ses adorables services, et le salue chaleureusement. Il s'en va en boitant, marchant jusque chez lui. Je le regarde s'eloigner, et rentre me coucher apres une tres longue journee, en pensant a tout ca.

Amdullah a une petite fille de 6 mois. Elle grandira, elle s'amusera d'abord le long des grandes avenues de la grande ville de Turpan, entre les murs de beton des grands immeubles, puis ira a l'ecole chinoise ou elle apprendra le chinois, les mathematiques, l'anglais et peut-etre le Ouigour, la langue de sa region natale. Elle aura elle aussi des enfants, qui avec un peu de chance, se souviendront peut-etre seulement qu'ils sont Ouigour.
 
Chengdu est en Chine. Chengdu est une immense ville aux immenses batiments gris, aux larges rues grises sous un lourd ciel gris de pollution. Chengdu est remplie de chinois qui fourmillent, qui grouillent, qui crient, qui negocient, qu icrachent, qui mangent salement, qui saluent, qui salissent le sol des restaurants, qui se ruent, qui visitent, qui vendent, qui boivent, qui se mouche bruyament, qui regardent, qui sourient, qui sortent leurs billets, qui pesent, qui font du velo, qui se protegent de la pluie... Qui sont des chinois en Chine...

Je passe la porte de mon wagon, le wagon-couchette n15.
Je voyage en train et je ferme les yeux.
Je passe la porte de mon wagon, le wagon-couchette n15.

Turpan est en Chine. Turpan est une petite ville aux petits batiments ecrases de lumiere, aux petites rues brunes et poussiereuses noyee de soleil impitayable. Turpan est remplie de chinois qui prient Hallah, qui negocient, qui etalent leurs pasteques fraiches, qui arborent fierement une barbe sombre et fournie, qui on un couvre-chef, qui ont le visage ravine par le soleil, qui ressemblent a des turcs, qui vendent, qui degustent delicatement le mouton, qui sourient, qui sortent leurs billets, qu idirigent l'ane trainant leur cariolle, qui se protegent du soleil, qu iprennent le temps, qui boivent du the... Qui sont des chinois en Chine...

Je m'assois et je ferme les yeux.
Je me demande alors quelle est la vraie Chine, et pourquoi d'un cote les hommes ont les yeux brides et les cheveux noirs et raides, et pourquoi d'un autre cote les hommes ont les yeux bleus et les cheveux frises. Je tente de comprendre pourquoi tous ces gens si differents se retrouvent encercles dans le meme ensemble mathematique, avec une petite ligne tout autour d'eux pour les separer de leurs voisins les russes, les kirghizes, les indiens, les coreens, les mongoles... Je me demande ce qu'en Chine, veut reellement dire le mot "frontiere", si ce n'est un petit trait sur une carte.
 
Contrastes incessants, et frappants... La Chine est remplie de gens tres pauvres, tres riches, et tres moyens... Chengdu, gare ferroviere. Sur le parking des Lexus, des 4X4 cadillac, des break Audi Q8... Dans le hall, des gens sales qui n'ont pour seuls bagages qu'un enfant morveux et pleurnichant assis sur un sac en toile rempli de cacahuetes... 9,5 millions de km2, presque 1,5 milliard d'habitants, rien n'est uniforme comme le decrivait l'utopie communiste du debut du siecle.

Il y tellement d'informations nouvelles pour mon cerveau a traiter en meme temps. Rien n'est en anglais, l'ecriture demande un effort constant pour reperer le moindre ideogramme qui me permet d'identifier ce que je recherche... Tant de monde partout, de signaux visuels, auditifs, olfactifs... Tout m'assaille sans merci, sans pitie, sans prevenir, et un grand tourbillon m'entraine dans une ivresse constante et indescriptible.
Personne ne m'attend, personne ne fait attention a moi, personne ne parle anglais, et en meme temps tout le monde me ramarque, tout le monde me guette du coin de l'oeil, tout le monde m'espionne. Je joue le jeu, faisant mine de ne rien remarquer, puis je tourne la tete sourire en coin, pour decouvrir des dizaines d'yeux meduses rives sur moi...
Certains regard disparaissent alors et se noie dans une contemplation du plafond ou du ciel, d'autres se transforment en sourire narquois, d'autres encore se changent en rire mele de surprise et de timidite. Au moment meme ou j'ecris cet article sur mon carnet de notes, assis dans le hall de la gare, deux jeunes se sont assis a cote de moi, a ma gauche, les yeux rives sur mon stylo pour regarder a quoi ressemble mon ecriture. Des dizaines d'autres yeux curieux sont tournes vers moi, observant la scene de loin. Aucun touriate alentour, aucun occidental, aucun voyageur pour improviser une cohalition, aucune fuite possible. Je sourie. Je ne serai jamais vraiment seul en Chine. Au debut c'est tout a fait deroutant, ensuite... ca reste deroutant... Les deux jeunes assis a ma gauche ont deja appele trois autres copains... je suis deja au centre d'un petit cercle de curieux...

Interagir ou me refermer, tout depend des envies du moment. Aujourd'hui, je branche simplement mon Ipod, pour ecouter the Pink Floyd, Wish You Were Here, en pensant a plein de trucs.
 
Il fait de nouveau gris sur Chengdu, mais la pluie nous epargne aujourd'hui. Une lourde chappe de brume voile les derniers etages des hauts grattes-ciel de la ville. Ce soir a 19h15, je grimperai dans le train qui me conduira a Turpan, 3000km au nord-ouest, nous somme le 26 mai. Je depose mo gros sac a la consigne de la gare, et entreprend une petite visite improvisee de la ville, il est presque midi. Les rues se succedent, croulant sous les etales de vetements au rabais, de lanternes fabriquees a la chaine, de peluches immitant les heros de dessins-animes, et bien-sur sous les boutiques de bouffe en tout genre. Je ne reconnais d'ailleurs bien souvent que le riz parmi les ingredients que je decouvre... Depuis la gare, je me dirige grossierement vers le sud, mon but etant de me rapprocher du Temple Wenshu qui sera une etape de ma journee.

J'y arrive finalement apres une bonne heure et demi de marche tranquille  dans une ville bondee de monde et de vehicules. M'acquittant des 5 yuans de droit d'entree, je penetre dans l'enceinte du temple par un grand portail de style traditionnel, comme on peut en voir dans bon nombre de films chinois. Ici, l'ambiance est fraiche et calme, et les inombrables cours et jardins bien soignes et propres reposent au milieu du tumulte de la grande ville. Entre les arbres et par dessus les toits en tuiles grises, je distingue les hauts immeubles des alentours. C'est un contraste deroutant... Quelques touristes occidentauxp par-ci par-la, ce sont les premiers que je vois ici. Quelques moines en costume orange, facon Li Mu Bai dans Tigre et Dragon completent le tableau. Je les imagine deja s'entrainant chaque matin et pratiquant le Kung Fu sur un promontoir rochant, devant le soleil levant. Je me trompe surement sur leur mysticisme, si j'en crois mes recentes decouvertes sur les moines a Chiang Mai, en Thailande... bref...
Ayant boucle ma visite parmi les batisses centenaires du temple, je me retrouve devant le portail principal, marchant paisiblement vers la sortie. En face de moi, entrant dans le temple, un couple s'approche. Monsieur me jette un regard de haut en bas, et s'adressant a sa copine en anglais, lui declare: "tu vois, lui, il est americain"...
Je m'arrete a leur heuteur, intrigue. Le mec doit avoir environ 35 ans, occidental, cheveux clairs et frises, yeux clairs derriere de fine lunettes, un Leica pendouillant autour de son cou. Il traine derriere lui une tres charmante chinoise, qui n'a pas l'air de s'amuser plus que ca. Voulant en savoir plus je l'interroge, lui demandant en anglais egalement pourquoi il pense que je suis americain. Repondant a sa copine et pas a moi, monsieur dit que je suis habille comme un americain, en pointant mes vetements d'un doigt arrogant. A son accent, je comprend qu'il n'est pas anglophone, et je suis plutot etonne qu'apres m'avoir entendu lui parler anglais, il continue de prouver a sa copine ma provenance americaine... je m'en sens neanmoins flatte, pensant que je dois avoir un accent plutot convenable... Je l'interrompt cependant, pour lui faire remarquer que les vetements qu'il identifie comme etant de style americain ne sont qu'un T-shirt blanc uni, un pantalon vert uni, et des chaussures de marches grises... unies... Il me retroque qu'il est alle plusieurs fois a New York, qu'il est Afghan, et que tous les americains s'habillent comme moi... Un peu agace, je decide de lui preciser que je suis francais, et qu'il se met profondement le doigt dans l'oeil s'il se croit capable d'affirmer d'ou viennent les gens en regardant leurs vetements. C'est un jeu tres marrant au demeurant, mais il est ici on ne peut plus serieux... il ne joue pas...
Emaillant alors sa confiance en lui, je decide d'enfoncer un peu plus mon petit couteau dans la petite faille que j'ai trouve. Je le salue poliment, en ajoutant que dans la vie, i lest parfois interessant de ragarder plus loin que les apparences. C'est tellement cliche et beta, mais tellement jouissif a ce moment precis. Une joie enfantine m'envahit alors que je jette un dernier coup d'oeil a sa copine, tres visiblement embarassee par la courte discussion.

Je m'eloigne fierement, sans me retourner, dans la grisaille de la ville, disparaissant finalement dans une brume mysterieuse...

THE END
END CREDITS
 
Le train pour Chengdu, il est 18h, le 22 mai.
J'ai change de wagon pour trouver un espace plus vivable ou reposer mes fesses. Ici, c'est un peu moins bonde. Au fur et a mesure que le train avance le long des superbes paysages de CHine, je sens des regards insistants se poser regulierement surt moi. On me guette, et quelques voyageurs plus intrepides osent meme me tourner autour pour observer ce que je fais, matter mon Ipod, ou juste avoir la chance de decouvrir un bout de mes tatouages. L'un des jeunes du wagon finit par surmonter sa timidite ou sa politesse, et engage finalement la conversation dans un anglais tres hesitant. Je ne parle pas un mot de chinois, je suis frustre. Quelques uns de ses amis le rejoignent alors, voyant que je ne suis pas un fantome, et chacun y va de sa blague incomprehensible pour moi, en chinois. Au fil des minutes, un petit groupe se forme autour de moi; quelques uns de ces mectons semblent etre un peu des "bad boys", mais cela se resume rapidement a une coupe de cheveux desordonnee, a une clope eteinte pendouillant aux levres, et a un blouson mal arrange sur leurs maigres epaules. Nous finissons par grignotter un bout et a boire une biere tous ensemble. Je ne sais pas vraiment si j'apprecie cet attroupement, mais je peux au moins pratiquer un peu de chinois basique. Ce qui est sur par contre, c'est que ca ne plait pas du tout qu representant de la police en service dans le train... Il intervient vers 22h45, et mets severement fin aux festivites, en me priant de la suivre. il me balance plein de phrases en chinois. Je ne comprend rien bien-sur, mais je ressens clairement son enervement. Je comprend egalement qu'il veut m'eloigner du groupe un peu trop jovial a son gout. Je lui fais remarquer que j'ai paye pour une place assise et que je suis dans le wagon de 3eme classe, conformement a mon billet, et que je ne faisais que parler avec de nouvelles connaissances, mais il s'obstine a me crier dessus en chinois, repetant parfois betement mes phrases en anglais pour se moquer de moi. Le fait est que dans le wagon, tout le monde sans exception parlait tres fort, consommait de l'alcool, voire meme crachait au sol... Nous ne faisions donc visiblement rien de "mal".
Malgre tout, je finis en "quarantaine", assis dans le wagon restaurant, a rediger ce petit texte a la con, et a me remettre de cette injustice, apparemment tout a fait juste pour la Chine...
 
Do not be surprised to read English this time. As I do not speak French anymore in Asia, I thought a small taste of my travel could pass in an English article... Moreover, this one works much better in the Shakespeare's language than in ours...

Well, maybe some of you remember my very practical and mathematical demonstration of the “chicken's silliness”. It is not my purpose to be on the back of chickens, but just for fun, I will come back to the subject with another very interesting consideration, crossing the ways of nature and philosophy.
Many birds, as we know, can elevate themselves into the sky, to reach the highest locations in air, letting them almost touch the stars and sun. Despite of Icarus burning his wings, these birds are able to go high and fly for a long time, by a physical process consisting in moving their wings to take profit of the leaning on air molecules. Obviously, this is NOT the case of the chicken, being barely able to elevate from a few centimeters upon the surface of Earth. Whilst many people continue pretending in the highest instances of the scientific world that the chicken is able to fly, I'll try so to prove the contrary, or may be to find precise the difference between the fact of flying and the fact of being a chicken moving itself in the air.
Being a fervent defender to the theory that chicken could not fly, I made a striking discovery, a few weeks ago, on the island of Don Kho. My senses were awakened and sharpened by my special program of observation of the poultry kind, and walking along rocky track I came to witness something I was not expecting. In a small tree, above me, I saw two chickens struggling to keep themselves equilibrated on the branches. I was struck: viewing these two poultry specimens able to reach a relative high point over the ground, into a tree, were a knife right into my convicted-of-non-flying-chickens-heart... I was observing them, without being able to move one muscle, my mouth opened in a steady astonishment mood. They were hustling to stay on their respective branch, trying to scratch the wood under their claws to find some worm or insect, don't even knowing they were not scratching into some soil. Then, maybe by desperation, they decided to leave their perched position, and like if animated by a collective voice telling them to get down, they just let themselves poorly fall onto the ground, moving their wings in an epileptic struggle. The sight of this non-flying vertical translation right to the ground comforted me then, but also created confusion in my brain. Assuming that these two chickens were not able to fly, how could they manage to climb up there? How could have they reached these branches? As a respectable scientist, my pragmatism handled out the situation, and I went back walking, trying to compile and built a reasonable theory. I started by making a serious number of hypothesis, questioning myself.

-Did some one throw these two chickens up into the tree? Why? Who? Was it a local tradition to throw chickens into trees?
-Did these two chickens fall from the sky? Why? When? Is it a classical manifestation of the south Lao weather? If so, why these two chickens did not have any visible wound, bruises, or even bad feather style?
-Were these two chickens born on this tree? If so, how did their mother-chicken manage to get up there to lay the two eggs, without being able to fly neither?
-Was it an endemic specie of “arboreal chickens”, living specifically in this unique tree on Earth? If so, I witnessed the extension of the last specimens of this specie, which would have been very lucky for me, but fairly unlikely to happen.
-Were these two chicken have super powers, making them able to teleport themselves from places to places? If so, why did these two chickens not use their super powers to manage to climb down from the tree without hurting themselves in a painful fall?
No explanation matched the problem, and the more questions I asked myself, the less answers I was getting... Walking, confused and goalless, I came to another discovery which enlighten the first one. Next to the road, a group of chickens -probably a chickens family, according to the similar look of their feathers and the color of their eyes- were walking around in order to find some food. They were using the well known chicken strategy to find insects to eat, being scratching the ground to take off the upper layers of the soil to let the worms and insects to the mercy of their beak. Then, whilst mother chicken was picking a few things to feed itself on the ground, two young chickens came to a fight. Of course, a fight as we know it is not the cup of tea of the chicken. After a little teasing and pinching with its beak, the stronger chicken runs after the weaker one, trying to catch it to pinch it more and more. Chasing one another, I saw these two chickens able to do something I did not expect... Running very fast comparatively to their sizes, these chicken were showing a unique comportment moving through air. Thanks to their respectable running speed, they were able to “jump” very far, moving their wings, pretending to fly... The truth burst to me, I was like if I had seen the light, It all came so clear to me, I got the very one explanation to my questioning.
I realized that the chicken was neither able to jump, nor to fly. It was something between, more subtle, a new kind of way to displace a body through space, into the air. But no word was existing to properly describe it... I had to create a new one, matching and crossing the hybrid moves of the chicken. I so created the mix between these two very different moving skills, by mixing the two concepts in a new one. It was obvious: a mix between FLYING and JUMPING.

It was FLUMPING...

Now, the puzzle comes to an end, and my wondering is no longer a natural riddle. The chicken flumps. So many questions have an answer. Tomorrow, I write a humble article to the magazine “Science et Vie”, hoping to be edited in the next issue. Then, as very famous in Asia, I will try to come into contact with the chief-editor of “Chicken Weekly” to share my discovery and make it public. Last but not least, I not too hopefully talking, will apply for the next year Nobel Price in Poultry Specialty.
Ladies and gentlemen, Thank you so much for your support, and I promise not to forget anyone when I'm famous. Endlessly yours, with love.

Olivier ROULIN, phD