La vieille ville de Yarkand. Un enchevetrement de rues, de ruelles, d'allees, d'impasses, de chemins. De la terre, de paves, du bitume, descailloux. Des maisons, des batisses, des balcons par dessus, amonceles sans ordre et sans logique. Torchis couleur paille, briques ocres, frises vert pastel delavees par 200 ans de soleil, vieilles poutres en boir tordu nourri de la poussiere, de la terre et de la fumee des fourneaux. Un tracteur cale derriere moi, un velo electrique me klaxonne, une cariolle tiree par un ane me depasse, une voiture rouge petant me double, une vieille cachee sous son voile manque de me bousculer, un petit taxi a trois roues m'interpelle, une bicyclette agile me coupe le passage, une moto petarade sous mon nez... Le tout soulevant la poussiere qui vient encore nourrir les poutres en bois d'une nouvelle couche brune.
On martele le fer incandescent et rougeoyant pour faconner des serpes qui moissonneront les bles d'ici quelques semaines. On ventile les braises qui grilleront les kabab pour le dejeuner, dans une heure. On tourne le bois pour obtenir un bon calibre et le fine forme pour les pied des lits traditionnels. On fouille sous une montagne de ferraille pour degotter la piece qui vient de casser dans son chariot. On soupese et on cogne pour mesurer la maturite de la pasteque aux lignes vertes. On aiguise les lames des couteaux artisanaux qui pendent a chaque ceinture de chaque homme de la region. On meule les peles sous une pluie d'etincelles rouges, oranges et jaunes.

Docteur, branches le scanner, mon cerveau est au paroxisme de son actvite et de ses capacites d'integration. Ce doit etre interessant a voir. Tous les sens en eveil, j'en manque encore. J'ai pourtant les yeux grands ouverts, les oreilles aux aguets, les narines orientees vers la moindre odeur, mais je manque d'yeux, d'oreilles et de nez. Pleine ebulition mentale et sensitive, dans une decouverte absolue d'un univers inconnu et lointain. mais je ne suis pas le seul... descendu de ma soucoupe volante pour decouvrir la planete Terre, "je viens en paix", je suis a moi tout seul, un univers inconnu et lointain.
Decouverte contre decouverte, qui apprend le plus?...
Si mes yeux sont emplis de tout ce qu'ils peuvent voir autour de moi, tout les yeux autour de moi sont emplis de ce qu'ils voient au centre de tout cela. MOI. Je guette le forgeron, on guette le moindre de mes pas... Je m'arrete devant un tourneur de bois, on s'arrete en extase devant moi... Je marque une pause devant un boucher qui coupe sa viande, on marque dix pauses dans savie de tous les jours a Yarkand... Je prends, tu prends... mais je suis seul a prendre, et ils sont des centaines...
Je prend une minute pour photographier un artisan, et des que je leve les yeux de mon objectif, me voila entoure d'une vingtaine de personnes curieuses qui me regardent, me sourient, me touchent, m'osculent, me devisagent. Mon bras est-il peint? Les dessins s'en vont-ils si je frotte? Des yeux incredules braques sur moi, des doigts inquisiteurs qui caressent la peau ou je suis tatoue pour savoir comment ca fait, si c'est en relief, si c'est ruguex... non, c'est juste de la peau en couleur...
On m'invite a m'assoir et a boire le the, et apres quelques secondes me voila entoure d'une trentaine de curieux, vieux aux yeux malicieux, enfants au sourire eclatant, femmes au visage fier et merveilleux... tant de curiosite, tant d'avidite de decouverte, tant de sympathie, tant d'ouverture, et tant de fierte en meme temps. Les yeuxd'un peuple braque sur moi, les yeux du peuple Ouigour, sympathique et fier, honnete et fort. On me raconte des histoires auxquelles je ne comprend rien, on me parle de choses dont je n'ai aucune idee dans une langue a mille lieux de la mienne, on me pose des questions pour lesquelles je n'ai aucune reponse... Je souris simplement en confirmant de la tete... Un vieux semble me crier dessus, d'une voix forte, presque en colere... je repond au hasard "parancia", francais... un large sourire illumine alors son visage ride, et attrape ma main pour la serrer comme personne n'a jamais serre ma main... je lis sur son visage une joie et une fierte dont je ne suis pas digne... mais une dignite qu'il m'offre le temps de cette poignee de main...
Je sors mon Lonely Planet, je montre des cartes. Je voyage en Chine, certains ici voyagent grace a oi, et repetent pensivement "Parancia...", les yeux vers le ciel... je m'essayes au Ouigour sous les rires et les exclamations... mon publique... Je montre des photos, on me demande des photos, encore plus de monde autour de moi, qui rit et qui s'exclame... mon publique...

So never refuse an invitation, never resist the unfamiliar, never fail to be polite and never outstay the welcome.

Je remercie, je me leve,etje sers des mains inconnus dont je peux sentir la sincerite en retour. Echange de regards, contact simple mais suffisant pour comprendre... puis un peu plus loin, le meme scenario pour ceux qui n'etaient pas present a la premiere representation.

Personne ne sait qui je suis, Olivier ROULIN, personne ici...
Pourtant, tout le monde me connait...

I am Legend
 
A Yarkand, je me suis marie. J'ai epouse mon sac a dos sans le savoir, en descandant du bus. Pour feter ca, les gentils chinois a l'accueil des hotels de la ville ont accroche de jolies boites de conserve multicolores et bruyantes a la Cadillac decapotable imaginaire que je conduit a travers les rues.

"Quel merveilleux couple vous faites... vous etes sublimes... nous sommes desoles mais nous n'avons aucune chambres pour votre nuit de noce... en compensation, voici une jolie boite de conserve coloree a acrrocher derriere vous... bonne route..." Une boite de conserve, deux boites de conserve, plein de boites de conserve. De plus en plus de bruit, de plus en plus de couleurs, derriere ma Cadillace decapotable imaginaire... Elles trainent derriere, elles s'entrechoquent, elles sonnent, elles piaffent, elles sautillent le long des cahots de la route. BLING BLONG... Je les regarde se multiplier dans le retroviseur. Je tourne a droite, elles valdinguent a gauche... je vire a gauche, elles voltigent a droite... Et personne ne se lasse de m'en accrocher de nouvelles. "Pas de chambre pour un non-chinois marie a son sac, desole... mais voici une petite decoration pour accrocher derrierevous... bonne route..."
Pendant deux heures, un a un, les gentils chinois a l'accueil des hotels de Yarkand me reufsent des chambres, et accrochent des boites de conserve, presents bruyants et colores, qui se cabossent derriere moi. Si bien  qu'a un moment, mon moteur surchauffe. Trop de boite a trainer, trop lourd. Trop de poids, ma bagnole peine a avancer. Mais c'est un jour heureux, je suis marie a mon sac a dos...

Enfin, un ennieme chinois derriere un ennieme comptoir d'hotel, accepte de me donner une chambre. Enfin. Une chambre pour moi et mon sac a dos... Pas de boite de conserve, juste un chambre, sans pretentions et sans eau chaude. Mon sac est fatigue, et reste se reposer dans la chambre sans pretention et sans eau chaude. Je le laisse se reposer, et pour ne pas le deranger ou le reveiller, je repars dans Yarkand au volant de ma bagnole, trimballant toujours mes boites de conserve. Avec tout ce poids, je me traine vraiment, c'est pas facile et c'est bruyant, et puis c'est aussi fatigant. Je suis pourtant le seul a les voir, mes boites de conserves, et aussi a les entendre. Mon marige, mes cadeaux, lourds et colores. cabosses et bruyants. Personne d'autre ne les voit mais je les trtaine peniblement depuis que les chinois me les ont offertes en me refusant des chambres d'hotel, par dizaines...
Comme je roule vraiment trop doucement pour les avenues Yarkand, et que j'ai aussi peur que d'autres viennent m'en ajouter encore d'autres, je bifurque dans les petites rues de la vieille ville, pour me cahcer un peu et rouler a mon rythem. Lentement. Les ruelles sont presque vides. Presque. Seuls quelques enfants s'amusent ici et la.
L'un d'entre eux me voyant passer tombe en arret. Son regard s'illumina alors... Il les a vues... Il a vu mes boites de conserve, qui trainent peniblement derriere moi. Il s'approche, en attrape une, la decroche, et la transforme en un tamtam au son exotique.Il tambourinne joyeusement dessus, et me sourit si fort. D'un large sourire plein de gratitude pour ce cadeauque je viens de lui faire. Une boite-de-conserve-tamtam, un jouet pas cher... Un autre accourt alors, decroche une autre boite de conserve, et la transforme en etincelant chapeau de prince. Il bombe fierement le torse, et me sourit aussi, du meme sourire que son camarade. Puis un troisieme, et encore un autre, et puis tout un groupe... tout un groupe d'enfant qui decrochent une a une mes boites-de-conserve-fardeau pour les transformer en jouets magiques et merveilleux. Mes boites de conserves invisibles deviennent des masques de robot invisibles, des chateaux forts invisibles, des ballons de foot invisibles, des coffres remplis d'or, des appareils photo, des coquillages pour ecouter le mer, des instruments de musique... invisibles... Et les enfants decrochent finalement toutes mes boites, me gratifiant de sourires ingenus et lumineux, courant autour de moi, s'essayant timidement a dire "hello", rigolant de mes tatouages, trepignant impatiemment pour une photo...

Je suis leger, libere du poids de mes boites de conserve, que les adultes avaient acrrochees derriere moi. Libere du poids de mes boites de conserve que les enfants ont decrochees avec leurs sourires et leurs rires. Encore plus leger, porte par leurs regards emerveilles, je reprend ma route empli de bonheur, trainant cette fois ci derriere moi un chapelet de gosses colores et bruyants, heureux d'avoir de nouveaux jouets imaginaires, qu'un inconnu bizarre leur a offert  dans un conte d'un jour de juin, a Yarkand.