Au ciel, il y a le Paradis. Sur terre, il y a Suzhou et Hangzhou. Je me repasse en boucle ce proverbe chinois, et je tente de comprendre ou j'en suis...

Nous somme le 6 juillet. Dans quatre jours je decolle direction Londres. Je ne rentrerai pas par le Transsiberien comme prevu initialement. Je fais le bon choix, pas de regrets. Je viens de passer 17 semaines en Asie. 17 semaines avec pour maison mon sac a dos, et les differents endroits ou j'ai echoue. Je me souviens le jour ou j'ai decide de partir... un jour de Jullet 2009, il y a un an preciement. Entre Juillet 2009 et fevrier 2010, 8 mois s'ecoulent. Je bosse, je dors, je sors rarement, je sers des bieres, je vends des tattoos, je rigole aussi un peu, occasionnellement. 20 fevrier 2010, je quitte mon boulot. 26 fevrier, je debarque a Grenoble pour quelques jours, comme un petit pelerinage. Ca fait 2 ans que je n'ai pas mis les pieds dans ma ville natale, que je n'ai pas vu mes parents et mon frere, 2 ans ou plus que je n'ai pas vu certains de mes amis. Grenoble, comme une derniere visite au cas ou il m'arriverait quelque chose en voyageant, comme un superstition debile? Impossible a dire... Le 27 fevrier au soir, resto avec mes amis. le noyau dur de ma vie. Certains d'entre eux, je ne les ai pas vu depuis plus de 6 ans. Ils sont toujours les memes, nous rigolons, nous mangeons, nous buvons... Plaisir, surprise, securite absolue; savoir que peu importe le temps qui passe, mes racines sont toujours profondement ancrees dans la terre dauphinoise. Rien n'a change de ce que nous vivions avant, du moins pour cette petit bulle d'amitie que nous partageons. Bien-sur, l'eau a coule dans le tortueux lit de la riviere du temps, emportant graviers et cailloux, elimant ses rives, changeant un peu le paysage. C'est comme revenir dans un village apres une longue absence. Un ancienne maison fragile a ete remplacee par un petit immeuble de trois etages, la vieille eglise s'est paye un tout nouveau clocher, la petite epicerie a ferme au proft d'un supermarche... Mais dans le fond, les choses sont pareilles a celles d'antan. Et en marchant dans les ruelles, on se perd et on se retrouve aux memes endroits, machinalement, snas meme s'en rendre vraiment compte. Certains de mes amis se sont maries, ont un gosse, d'autres se sont empates et ont les temps grisonnantes, d'autres encore n'ont pas bouge d'un poil. Et eux; que voient-ils de moi? Que suis-je devenu? mes choix de vie, mes tattoos, ma barbe?

Quelques semaines plus tard, je propulse ma moto sur les chemins poussiereux du Mondokiri, au Cambodge. Tellement loin de tout cela. Pourtant, en faisant partie integrante. M'eloignant de tout, me rapprochant pourtant chaque seconde de moi-meme. Retrouvant les pieces de mon Puzzle, perdues depuis ma naissance, probablement eparpillees quelque part en Asie, en France, en Belgique, et au Pays de Galles... au Pays de Galles... Regroupant les bouts de moi-meme, mes pieces, mes multiples eclats, je finis par retrouver le chemin sur lequel mes pas s'enchainent naturellement, sans l'ombre d'un doute, sans une hesitation, guides par une boussole dont l'aiguille pointe la direction du vrai Moi. Constamment orientee dans la bonne direction, montrant quel route prendre a chaque croisement, me rapprochant de cet horizon rassurant, ou le soleil brille chaudement... de cet horizon rassurant et pourtant si aventureux et imprevisible...

Nouveau croisement parmi les avenues de Hangzhou. La fin d'un chemin, le debut d'un nouveau. Dans 5 jours, un voyage prend fin. Dans 5 jours, un voyage commence. Dans 5 jours, ma vie continue, simplement.
 
“J’ai vu tant de choses, que vous, humains, ne pourriez pas croire... De grands navires en feu surgissant de l’épaule d’Orion, j’ai vu des rayons fabuleux, des rayons C, briller dans l’ombre de la Porte de Tannhaüser. Tous ces moments se perdront dans l’oubli, comme les larmes dans la pluie. Il est temps de mourir.”
 
Le Replicant s’adresse au Blade Runner, il est torne nu, ses yeux bleus scintillent au milieu d’un visage trempe par la pluie. Les gouttes d’eaux ruissellent lentement le long de toutes petites routes paralleles, verticales, le long de son front et de ses joues, puis s’ecrasent finalement sur le sol dans un dernier saut.  Sur le toit de cet immeuble, Il va bientot mourir. 250m plus bas, dans les avenues au niveau du sol, la valse des parapluies ne s’interrompra pas pour autant, meme pas pour marquer une minute de silence. Ridley Scott a eu une vision, Il a cree en 1982 Shanghai telle qu’elle est reellement aujourd’hui... Ou alors, on a voulu immiter Blade Runner et Shanghai s’est developpe en suivant scrupuleusement les images du film.
30 ans plus tard, la realite a rejoint la fiction, et je ne sais plus vraiment ou en sont les frontieres respectives. Je marche le long du Bund, les yeux incredules devant le spectacle qui se joue ce soir tout autour de moi. J’ai tellement peine a me rendre compte que ce dont je suis en train d’etre le temoin existe vraiment… Ainsi, si quelqu’un m’arrete a l’instant et me declare que quelque Replicant se cache dans les rues de Shangai, je suis prêt a le croire. Mais personne ne m’interpelle pour me faire cette declaration surrealiste… pas encore, du moins…
 
Au milieu de la foule, dans cette nuit brumeuse de l’est chinois, quelques gouttes de pluie perlant sur le visage, je tente de comprendre ce qui m’arrive. En face de moi, le fleuve court large et calme, ses eaux sont rouges, jaunes, vertes, bleues ou violettes. Elle refletent les innombrables sources lumineuses tout autour. A sa surface, dans un sourd vrombissement couvrant presque les discussions de la foule, semblent glisser des bateaux plus incroyables les uns que les autres, veritables fetes foraines amphibies, ou simples traits de lumieres sur l’eau. Un vieux bateau a aube entierement eclaire de neons rouges, un dragon irise changeant du rose au vert en passant par le mauve, un trios ma facon pirates illumine d’un bleu glacial… Pour certains, impossible de discerner leur forme exacte, tant ils sont brilliants et lumineux.. Au dessus de moi, un ciel lourd et brumeux recouvre la ville d’une chappe cottoneuse. Un ciel completement blanc, qui renvoit toute la claret des millions de lumieres de cette ville. Un ciel qui dissimule la cime des plus hauts grattes-ciel, posant dessus comme un voile mysterieux. Derriere ce voile, seule la lumiere qui transparait, semblant venir directement de l’espace.
 
J’effectue un tour complet sur moi-meme. Ici, c’est du jaune qui predomine. Le Bund, avenue mythique de Shanghai, s’etire sous mes yeux, bordee de ses immeubles neo-classiques style new yorkais. Massifs, ils sont illumines sur toute leur hauteur, et dominant l’avenue de leur quarantaine d’etages. Des domes dores coiffent certains, un toit pyramidale semblant taille dans une gigantesque emeraude trone au sommet d’un autre. Colonnes, portes colossales, corollas immenses et coupoles de verre se disputtnet la vedette et tentent literallement de m’hypnotiser.
45 degres a gauche. Le fleuve s’etend dans la nuit, encircle de deux rideaux de lumiere; les deux rives, veritables falaises urbaines de metal, de verre et de beton. En forcant ma vue, j’apercoit les navires colores les plus eloignes, et me rends compte qu’ils sont regroupes en une veritable armada de la flotte touristique. Un pont enjambe les eaux a quelque distance, creant un lien scintillant entre deux rives lumineuses. Des arches demesurees s’entremellent pour former une trigonometrie reguliere et brillante au dessus du courant.
45 degres a gauche encore. Je ne peux m’empecher a cet instant de me parler a moi-meme, victime de mon emerveillement. Toujours incredule face a ce que je vois, je leve les yeux jusqu’a la limite du ciel, ou disparaissent des immeubles aux formes delirantes, rivalisant de creativite et de hauteur. Une vraie foret de batiments mene un combat titanesque sur la rive pour arriver a toucher les nuages, comme les arbres d’une jungle se disputeraient un peu de soleil… Des pointes, des spheres, des ecrans geants GEANTS, des cubes, des cylindres, et autre geometries immenses composent le paysage, et le tout est entierement eclaire et clignotte compulsivement sous un ciel qui suit le meme rythme. De la ou je me trouve, entrevoir un vaisseau spacial planer tranquillement entre les cimes des grattes-ciel ne serait plus tres etonnant, tant le spectacle est deja incroyable.
 
Au gre du vent, les nuages le plus bas se frayent un passage entre les antennas et les derniers etages des buildings, et donnent une touche finale a ma scene de Blade Runner:
Je vois tant de choses que vous, humains, ne pourriez pas croire... De grands navires en feu surgissant des eaux du Huangpu, je vois des rayons fabuleux, briller dans l’ombre des Portes du Jin Mao Building. Tous ces moments ne se perdront jamais dans l’oubli, comme les larmes dans la pluie. Il est temps de vivre…
 
Quai de la gare, l’aube… Un train, locomotive gonflee de vapeur bouillonnante… Encore quelques pellete de charbon, et le sifflement strident de l’evacuation de pression brise le silence. Un long filet de fumee blaqmche brulante se repend verticalement, daqns la lumiere orange du levant… Le mecano fait retentit la cloche, le depart est imminent…Le vent souleve la poussiere, et les buissons morts roulent en travers de la rue principale… Les volets se ferment silencieusement, les rideaux sont tires discretement… Jambes ecartees, vieilles Santiags plantees au sol. Ternies par l’erosion du sable du desert… Nuque contractee, epaules figees, bras tendus vers le sol, a 45 degres de part et d’autre d’un corps absolument immobile, mains ouvertes fixement orientees vers le bas, en vis a vis du revolver qui git a l’exterieur de chacune des cuisses, dans son holster en cuir vieillot, plaque sur u nvieux jean’s elime par des annees passees a chevaucher sous le soleil… Yeux mi-clos, tentant de percevoir le moindre movement de la statue faisant face a une dizaine de matre, postee dans l’exacte meme position, guettant l’exacte meme chose, a cet exact meme instant… Aujourd’hui, l’un des deux quittera la ville, les pieds devant…   Cette ville est trop petit pour nous deux… Ce train est trop petit pour nous 1500…   J’ai gagne le duel contre le millier de voyageurs, j’ai une place assise, dur. Beijing – Shanghai, 24 heures de trajet, moins de 12 euros, les places sont tres tres demandees. Alors on les vend sans se poser de questions sur leur disponibilite, mais aussi sans scrupule d’entasser ses sompatriotes. Au fur et a mesure des arrest dans les differentes gares, 10 personnes descendent, 30 autres montent. Les quelques places assises qui restent sont tres vites remplies, alors pour ceux qui n’ont pas la chance d’etre montes en premier dans le train c’est l’improvisation qui decide de leur confort. Ici, on a une 3eme classe, mais aussi une 3eme classe debout, une 3eme classe par terre, voire meme une 3eme classe “toilette”… Far West du transport en commun, le train en Chine renvoit a l’epoque ou les premiers chinois tenterent de faire fortune aux Etats-Unis en plein milieu des plqines arrides de l’Arizona. Je deserte d’ailleurs mon banc pour decouvrir les merveilles que recelent les wagons qui foncent dans la nuit quelque part dans le Jiang Su. Par les fenetres, le vent s’engouffre a grand bruit faisant voloer les rideaux bleus-grisatres et decoiffant de nombreux cheveux noirs. Il est 1h30 du matin, je me fraye un passage dans l’interminable corridor entre les sieges. En pleine nuit, un brouhaha assourdissant regne partout, et toutes les lumieres sont allumees. On discutte, on joue aux cartes, on ecoute de la musique a renfort de hauts-parleurs pour faire en profiter ses voisins, on reveasse, on mouche bebe… Ou alors on tente de dormer, ou on dort carrement si on est chanceux ou completement extenue. On multiplie les strategies pour se mettre a l’aise, et eviter de sentir passer les longues heures douloureuses dans un train surpeuple. On etend ses jambs en s’excusant poliment, on se trouve un centimeter carre de liberte pour poser ses pieds enkyloses, on se dandine sur son sean, on se leve pour stimuler sa circulation, ou on s’epanche tout simplement en forcant son voisin a batter en retraite et a ceder du terrain. Parfois aussi, on subit les kilometers en restant assis, stoique, le dos bien droit et le regard fixe… Si on n’a pas la chance de faire partie des premiers groupes cites ci-dessus, il reste cependant differentes options, demandant bien plus de creativite ou de resignation. Au choix. Je les decouvre en quittant un wagon relativement calme, commencant a enjamber un grand nombre de passagers juges au sol. Ici, un home s’est allonge au sol, sous les banquettes, entre les sacs et les pieds en fer. Il dort a poings fermes, la tete reposant sur un papier journal. Plus loin, quelques-uns l’imitent, mais c’est un horiare de train qu’ils partagent en guise d’oreiller. Par la, un vieux monsieur a emporte son propre tabouret pliant, au cas ou. Il a ete clairvoyant, et trone maintenant tel un vieux roi au sein d’une sale de chateau decadente, dans un demi sommeil presque solennel. Je depasse sur la droite une personne… non, deux personnes… Entassees dans la petite sale d’eau du train. La premiere est pliee en deux, allongee au sol sur un sac en toile. La seconde est pliee en trois, , recroquevillee dans le lavabo, les pieds vers le plafond… J’avance de plus en plus difficilement a traqvers cette jungle de bras, de jambs, de bagages et autres especes plus ou moins sauvages. Le terrain deviant tres accidente, et je dois m’aider de mes mains pour progresser en ecartant les divers obstacles. Un couple s’est installe le long du mur, moitie assis moitie couches sur leur unique baggage. A quelques metres de moi, un amas compact de corps obstrue definitivement le passage. Je dois renoncer, je ne gagnerai jamais le fond du train. Je rebrousse chemin, jetant un dernier regard vers la route que je n’ai pas pu emprunter, comprenant enfin pourquor depluis plus de 10 heures maintenant, je n’ai pas vu un seul vendeur de boisson ou de nourriture passer devent moi en poussant sa petite boutique ambulante, dans le corridor du train…
 
Je suis tellement desole... Ca va faire une semaine que rien n'est publie ici... Je suis tres paresseux a Beijing, pour le moment. J'occupe le plus clair de mon temps a me reposer et a regarder des films dans le salon de l'auberge de jeunesse. Parfois, je mets le nez dehors pour aller visiter la Cite Interdite, ou encore la Grande Muraille... La Cite Interdite n'est plus du tout in terdite, comme elle l'a ete pendant 500 ans. Maintenant, elle est ouverte a tous, je veux dire aux centaines de milleirs de visiteurs qui s'y bousculent chaque semaine. Mais que fait l'Empereur?... La magie du lieu, si magie il y a, est quelque peu effacee par les bruits de pas innombrables, qui finalement brisent la tranquilite pensee selon le regles du Feng Shui de l'endroit. Mais c'est ainsi, et le milliard de chinois qui habitent le pays s'y bousculent finalement, a grands renforts de touristes etrangers, comme moi. Il est difficile d'imaginer les samurai a la demarche fiere deambuler dans les allees du temple, maintenant...
J'ai egalement quitte le havre de l'hotel pour devenir un Homme. Car en Chine, il est dit que quiconque va a la Grande Muraille devient un vrai Homme. Alors, me voila enfin eleve au rang de heros, pour avoir foule les paves et les pierres branlantes du plus long edifice jamais erige par la main de l'etre humain. Un super grand mur, a perte de vue, fendant les collines et les vallees en leur milieu (s'il existe un milieu aux collines ert aux vallees...). Une marche difficile, certains endroits etant si a brupte qu'il faut s'aider des mains. La vraie question, finalement quand on visite la Grande Muraille, c'est comment les chevaux faisaient-ils pour se deplacer le long du mur... On se rend vite compte que certaines partie sont si pentues qu'on a du couper les pates avant ou arriere des chevaux pour qu'ils soient d'applomb sur le chemin. Avant pour les chevaux allant dans un sens, arriere pour les chevaux revenant en sens contraire... C'est la seule explication que j'ai pu trouver... je ne sais pas vraiment comment les chevaux faisaient pour revenir a leur point de depart dans le sens inveser avec les pates courtes dans le mauvais sens, ne me demandez pas... ils etaient peut-etre juste executes pour leur viande... ou alors, il n'y avait pas de chevaux qui allaient sur la Grande Muraille... enfin, tant de questions viennent a mon esprit en decouvrant le monument, intelligentes bien-sur.

Demain, Beijing bye bye... Hello Shanghai, les buildings, le Bunt, la concessoin francaise, les neons dans les rues, et la pollution. Decollage 12h, pour de nouvelles aventures.
 
Korla, la gare, 17h54. Assis dans un hall blanc et bleu ou l'air n'a pas ete rafraichi depuis le derneir ete, je regarde en arriere sur les deux semaines qui viennent de s'ecouler au Xinjiang. Les images du film qui s'est joue dans cette salle defilent dans mon esprit comme dans un end Credits, sur fond de "Hard Sun". Eddy Vedder gratte sa guitare... On aurait pu appeler ca un film d'aventure. Bien-sur, en surface, prendre le bus au milieu du desert, lever le voile sur les tresors d'une civilisation, passer trois jours dans un train, ou encore se perdre sur des pistes poussiereuses eloignees de tout, ca pourrait avoir un gout de bon film d'aventure. Avec toutes les images qu'on peut coller dessus; le coucher de soleil sur les dunes, le vent qui souleve le sable au loin, le soleil impitoyable, la foule des ruelles tout autour... Mais plus loin que les images, plus loin que ce qu'on voit, plus loin que ce qui est projete sur le grand ecran blanc devant moi, il y a ce qui est projete au fond, en dedans, ce que seul moi peux voir. Projection privee sur la toile tendue au fond de mon coeur... Toile qui reste marquee a jamais des images qu'on lui a projete, qui garde les nuances et les tons de tout ce qu'elle a vu, toile qui accumule toutes les couches colorees, imprimee en elle. Et pour ce film la, le prix du ticket quel qu'il soit, en vaut largement la peine...
Si une odeur exotique et allechante au detour du dedale d'un marche peut etre efface en un clin d'oeil en tournant le coin d'un etale, par une effluve nauseabonde, j'ai decouvert qu'une joie immense, une plenitude absolue, une foi demesuree, pouvaient etre ebranlees et detruites en un eclair par un simple mot... J'ai decouvert qu'une profonde solitude, qu'une impuissance immense face aux choses, ou qu'une tristesse insondable pouvaient etre evincees et disparaitre totallement grace a un simple sourire. Et j'ai decouvert que toutes ces sensations pouvaient se bousculer les unes apres les autres, en l'espace de deux heures, sans prevenir, et gagner les tres-fonds puis remonter jusqu'aux sommets... en un clin d'oeil.

Alors au debut, on lutte, parce qu'on veut maitriser les choses, parce qu'on est fort. Mais rapidement, on se rend compte qu'en fait, on lutte parce qu'on a peur de ressentir, parce qu'on a plus l'habitude d'etre heureux, de se sentir seul, d'etre comble, d'etre triste, parce quelque chose se passe dedans, qui nous laisse a sa merci. Alors, finalement, on finit par s'ouvrir. Ne plus resister. On s'ouvre et on jette la cle tres loin, pour ne plus jamais avoir la tentation de refermer la porte qui mene a la vie. Et on vit, simplement. On se laisse aller aux vagues et aux courant de l'ocean des sensations qui nous ennivre et nous attire au large, tres loin des cotes ou on pourrait poser le pied a terre et se reposer de ressentir...
Et la, c'est seulement la qu'on est vraiment fort, libre, confiant. Parce qu'on sent son coeur qui bat, qui tressaille, qui accelere, qui se calme... et on vit... Et la, apres s'etre tant ferme et protege, on decouvre comme c'est bon de ressentir, de laisser tout nous envahir, sans preter aucune attention aux consequences, dans le seul but de ressentir. Et la, on ne veut plus s'arreter, pour rien au monde.

Et on en demande encore.
 
Oui, je ne sais... Je ne suis finalement pas dans la province de Mongolie Interieure... J'ai prefere rejoindre directement Beijing, pour retrouver un peu de "grande ville". Arrivee hier vers 16h, et je dois dire qu'a premiere vue, pour grande ville je suis servi. Il pleut aujourd'hui, et j'ai pas mal de petites choses a mettre a jour sur le site. Pour des photos, il faudra patienter plus tard dans la journee. J'avoue avoir ete assez paresseux pendant les jours de transports qui ont precede (au nombre de 4 d'affilee), mais j'ai bien deux ou trois trucs caches dans mon escarselle.
 
Le 12 juin... France - Uruguay 0-0, Pfffffffff !!!

Me voila a Niya, une micro ville au sud du desert de Taklamakan. Derniere ville etape du Xinjiang avant que je quitte la region. Cet apres-midi, je me jette dans u nbus qui traversera le desert direction plein nord, pour Korla. 720km. De Korla, je saute dans le premier train pour une ville a nom a peu pres imprononcable, ZhengxiangbaiQi, Mongolie Interieure. 3350km. Du Xinjiang et son desert aride, je me retrouverai dans les steppes de la frontiere de Mongolie, au nord de la Chine. Je m'attend a quelques heures... jours... de transport, bus, train et taxi reunis.

stay tuned...
 
La vieille ville de Yarkand. Un enchevetrement de rues, de ruelles, d'allees, d'impasses, de chemins. De la terre, de paves, du bitume, descailloux. Des maisons, des batisses, des balcons par dessus, amonceles sans ordre et sans logique. Torchis couleur paille, briques ocres, frises vert pastel delavees par 200 ans de soleil, vieilles poutres en boir tordu nourri de la poussiere, de la terre et de la fumee des fourneaux. Un tracteur cale derriere moi, un velo electrique me klaxonne, une cariolle tiree par un ane me depasse, une voiture rouge petant me double, une vieille cachee sous son voile manque de me bousculer, un petit taxi a trois roues m'interpelle, une bicyclette agile me coupe le passage, une moto petarade sous mon nez... Le tout soulevant la poussiere qui vient encore nourrir les poutres en bois d'une nouvelle couche brune.
On martele le fer incandescent et rougeoyant pour faconner des serpes qui moissonneront les bles d'ici quelques semaines. On ventile les braises qui grilleront les kabab pour le dejeuner, dans une heure. On tourne le bois pour obtenir un bon calibre et le fine forme pour les pied des lits traditionnels. On fouille sous une montagne de ferraille pour degotter la piece qui vient de casser dans son chariot. On soupese et on cogne pour mesurer la maturite de la pasteque aux lignes vertes. On aiguise les lames des couteaux artisanaux qui pendent a chaque ceinture de chaque homme de la region. On meule les peles sous une pluie d'etincelles rouges, oranges et jaunes.

Docteur, branches le scanner, mon cerveau est au paroxisme de son actvite et de ses capacites d'integration. Ce doit etre interessant a voir. Tous les sens en eveil, j'en manque encore. J'ai pourtant les yeux grands ouverts, les oreilles aux aguets, les narines orientees vers la moindre odeur, mais je manque d'yeux, d'oreilles et de nez. Pleine ebulition mentale et sensitive, dans une decouverte absolue d'un univers inconnu et lointain. mais je ne suis pas le seul... descendu de ma soucoupe volante pour decouvrir la planete Terre, "je viens en paix", je suis a moi tout seul, un univers inconnu et lointain.
Decouverte contre decouverte, qui apprend le plus?...
Si mes yeux sont emplis de tout ce qu'ils peuvent voir autour de moi, tout les yeux autour de moi sont emplis de ce qu'ils voient au centre de tout cela. MOI. Je guette le forgeron, on guette le moindre de mes pas... Je m'arrete devant un tourneur de bois, on s'arrete en extase devant moi... Je marque une pause devant un boucher qui coupe sa viande, on marque dix pauses dans savie de tous les jours a Yarkand... Je prends, tu prends... mais je suis seul a prendre, et ils sont des centaines...
Je prend une minute pour photographier un artisan, et des que je leve les yeux de mon objectif, me voila entoure d'une vingtaine de personnes curieuses qui me regardent, me sourient, me touchent, m'osculent, me devisagent. Mon bras est-il peint? Les dessins s'en vont-ils si je frotte? Des yeux incredules braques sur moi, des doigts inquisiteurs qui caressent la peau ou je suis tatoue pour savoir comment ca fait, si c'est en relief, si c'est ruguex... non, c'est juste de la peau en couleur...
On m'invite a m'assoir et a boire le the, et apres quelques secondes me voila entoure d'une trentaine de curieux, vieux aux yeux malicieux, enfants au sourire eclatant, femmes au visage fier et merveilleux... tant de curiosite, tant d'avidite de decouverte, tant de sympathie, tant d'ouverture, et tant de fierte en meme temps. Les yeuxd'un peuple braque sur moi, les yeux du peuple Ouigour, sympathique et fier, honnete et fort. On me raconte des histoires auxquelles je ne comprend rien, on me parle de choses dont je n'ai aucune idee dans une langue a mille lieux de la mienne, on me pose des questions pour lesquelles je n'ai aucune reponse... Je souris simplement en confirmant de la tete... Un vieux semble me crier dessus, d'une voix forte, presque en colere... je repond au hasard "parancia", francais... un large sourire illumine alors son visage ride, et attrape ma main pour la serrer comme personne n'a jamais serre ma main... je lis sur son visage une joie et une fierte dont je ne suis pas digne... mais une dignite qu'il m'offre le temps de cette poignee de main...
Je sors mon Lonely Planet, je montre des cartes. Je voyage en Chine, certains ici voyagent grace a oi, et repetent pensivement "Parancia...", les yeux vers le ciel... je m'essayes au Ouigour sous les rires et les exclamations... mon publique... Je montre des photos, on me demande des photos, encore plus de monde autour de moi, qui rit et qui s'exclame... mon publique...

So never refuse an invitation, never resist the unfamiliar, never fail to be polite and never outstay the welcome.

Je remercie, je me leve,etje sers des mains inconnus dont je peux sentir la sincerite en retour. Echange de regards, contact simple mais suffisant pour comprendre... puis un peu plus loin, le meme scenario pour ceux qui n'etaient pas present a la premiere representation.

Personne ne sait qui je suis, Olivier ROULIN, personne ici...
Pourtant, tout le monde me connait...

I am Legend
 
A Yarkand, je me suis marie. J'ai epouse mon sac a dos sans le savoir, en descandant du bus. Pour feter ca, les gentils chinois a l'accueil des hotels de la ville ont accroche de jolies boites de conserve multicolores et bruyantes a la Cadillac decapotable imaginaire que je conduit a travers les rues.

"Quel merveilleux couple vous faites... vous etes sublimes... nous sommes desoles mais nous n'avons aucune chambres pour votre nuit de noce... en compensation, voici une jolie boite de conserve coloree a acrrocher derriere vous... bonne route..." Une boite de conserve, deux boites de conserve, plein de boites de conserve. De plus en plus de bruit, de plus en plus de couleurs, derriere ma Cadillace decapotable imaginaire... Elles trainent derriere, elles s'entrechoquent, elles sonnent, elles piaffent, elles sautillent le long des cahots de la route. BLING BLONG... Je les regarde se multiplier dans le retroviseur. Je tourne a droite, elles valdinguent a gauche... je vire a gauche, elles voltigent a droite... Et personne ne se lasse de m'en accrocher de nouvelles. "Pas de chambre pour un non-chinois marie a son sac, desole... mais voici une petite decoration pour accrocher derrierevous... bonne route..."
Pendant deux heures, un a un, les gentils chinois a l'accueil des hotels de Yarkand me reufsent des chambres, et accrochent des boites de conserve, presents bruyants et colores, qui se cabossent derriere moi. Si bien  qu'a un moment, mon moteur surchauffe. Trop de boite a trainer, trop lourd. Trop de poids, ma bagnole peine a avancer. Mais c'est un jour heureux, je suis marie a mon sac a dos...

Enfin, un ennieme chinois derriere un ennieme comptoir d'hotel, accepte de me donner une chambre. Enfin. Une chambre pour moi et mon sac a dos... Pas de boite de conserve, juste un chambre, sans pretentions et sans eau chaude. Mon sac est fatigue, et reste se reposer dans la chambre sans pretention et sans eau chaude. Je le laisse se reposer, et pour ne pas le deranger ou le reveiller, je repars dans Yarkand au volant de ma bagnole, trimballant toujours mes boites de conserve. Avec tout ce poids, je me traine vraiment, c'est pas facile et c'est bruyant, et puis c'est aussi fatigant. Je suis pourtant le seul a les voir, mes boites de conserves, et aussi a les entendre. Mon marige, mes cadeaux, lourds et colores. cabosses et bruyants. Personne d'autre ne les voit mais je les trtaine peniblement depuis que les chinois me les ont offertes en me refusant des chambres d'hotel, par dizaines...
Comme je roule vraiment trop doucement pour les avenues Yarkand, et que j'ai aussi peur que d'autres viennent m'en ajouter encore d'autres, je bifurque dans les petites rues de la vieille ville, pour me cahcer un peu et rouler a mon rythem. Lentement. Les ruelles sont presque vides. Presque. Seuls quelques enfants s'amusent ici et la.
L'un d'entre eux me voyant passer tombe en arret. Son regard s'illumina alors... Il les a vues... Il a vu mes boites de conserve, qui trainent peniblement derriere moi. Il s'approche, en attrape une, la decroche, et la transforme en un tamtam au son exotique.Il tambourinne joyeusement dessus, et me sourit si fort. D'un large sourire plein de gratitude pour ce cadeauque je viens de lui faire. Une boite-de-conserve-tamtam, un jouet pas cher... Un autre accourt alors, decroche une autre boite de conserve, et la transforme en etincelant chapeau de prince. Il bombe fierement le torse, et me sourit aussi, du meme sourire que son camarade. Puis un troisieme, et encore un autre, et puis tout un groupe... tout un groupe d'enfant qui decrochent une a une mes boites-de-conserve-fardeau pour les transformer en jouets magiques et merveilleux. Mes boites de conserves invisibles deviennent des masques de robot invisibles, des chateaux forts invisibles, des ballons de foot invisibles, des coffres remplis d'or, des appareils photo, des coquillages pour ecouter le mer, des instruments de musique... invisibles... Et les enfants decrochent finalement toutes mes boites, me gratifiant de sourires ingenus et lumineux, courant autour de moi, s'essayant timidement a dire "hello", rigolant de mes tatouages, trepignant impatiemment pour une photo...

Je suis leger, libere du poids de mes boites de conserve, que les adultes avaient acrrochees derriere moi. Libere du poids de mes boites de conserve que les enfants ont decrochees avec leurs sourires et leurs rires. Encore plus leger, porte par leurs regards emerveilles, je reprend ma route empli de bonheur, trainant cette fois ci derriere moi un chapelet de gosses colores et bruyants, heureux d'avoir de nouveaux jouets imaginaires, qu'un inconnu bizarre leur a offert  dans un conte d'un jour de juin, a Yarkand.
 
3600m d'altitude, le lac de Karakul, 200km de Kashgar, 200km du Pakistan. Je retire difficilement mon sac a dos, j'ai oublie combien il n'est pas ratique d'avoir des manches longues. La neige entoure le lac, et les nuages se confondent avec les sommets environnant. Il est impossible de faire la difference entre le ciel et les montagnes. Est-ce d'ailleurs deja le ciel ici? Imaginer que derriere la brume, tout autour de moi, se cachent des sommets qui atteignent doucement plus de 7000m... Entre le blanc et le blanc, les eaux du lac refletent... du blanc...
Dans tout ce blanc, quelques petites taches vertes laissent devinder des prairies dissimulees ca et la. Dans ces taches vertes, quelques petites taches noires sont disseminees ici et la-bas. Des yacks. Un peu plus loin, ou beaucoup plus loin peut-etre, d'autres taches, grises. Des rochers. Parmi toutes ces taches vertes, noires et grises, une autre minuscule tache, rouge, celle-ci, se traine peniblement dans le paysage. C'est mon visage, congele et mal oxygene, qui disparait parfois derriere un appareil photo, pour immortaliser la vision de tout ce blanc.

Il est 16h, et 5 heures auparavant, j'etais dans un des endroits le splus chauds de la Chine, a la lisiere du desert de Taklamakan, 2500m plus bas, 200km plus loin. Entre Kashgar et Karakul, denivelee feroce, et paysages sans aucune comparaison possible de beaute, de hauteur, de creativite de formes et de couleurs. Du moins, je presume (a en croire tout ce qu'on peut lire sur cette route legendaire, la Route du Karakoram, vers le Pakistan), car le bus qui m'a monte jusque la etait mal eare, et ses vitres couverte de buee. Mes efforts pour tendre et tordre mon cou sont restes vain, je n'ai rien vu.
Nuages et buee sur le paysage, je dois avouer que le resultat n'est pas a la hauteur de mes esperances. Par ailleurs, une nouvelle fois, en plein territoire Ouigour, un enorme portail style chinois, un immonde restaurant d'altitude chinois, un repas chinois, et un chinois qui m'indique la yourte Ouigoure ou je suis cense passer la nuit. Les seuls Ouigour du coin tentent miserablement de vendre quelques chapeaux ou quelques colliers artisanaux, et un repas dans leur maison, un peu plus authentique que le batiment qu'on a pose sur le bord du lac.
Nuages et buee dans son esprit, altitude qui lui vrille le crane, apres 2 heures sure place la petite tache rouge decide de redescendre urgemment a Kashgar. Je pose peniblement mon sac a dos sur le bord de la route, et guette le moindre vehicule qui pourrait me sauver. Il n'y a plus grand monde, il commence a se faire tard, et je n'ai pour seule compagnie que quelques locaux et deux chiens loups qui batifollent sur les cailloux. Les gars qui passent me jettent des regards intrigues, ou peut-etre compatissant, et repartent en chevauchant leurs motos aussi fierement et agilement qu'un Kazhak chevaucherait un cheval. 18 h, un camoin passe finalement sur la route, je leve le bras, il freine, il s'arrete. Je grimpe, il va a Kashgar, je suis chanceux, autostop, 100% de reussite.

Nous descendons, les nuages et la buee de mon esprit se dissipent petit a petit. Nous descendons encore, et les nuages dans le ciel se dissipent aussi, petit a petit... J'ai devant moi le pare-brise du camion, immense ecran qui projete alors un des films les plus epoustouflant que je n'ai jamais vu. Je comprend alors que la Route du Karakoram soit si celebre. Des monts a plus de 7000m dominent du haut de leurs falaises vertigineuses une route posee au fond de vallees abruptes , d'anciens glaciers laissent leurs traces decoupant dans le paysage des saillies aux couleurs et aux contrastes qui semblent etre passees entre les mains de peintres impressionnistes, des massif de gres rouge dont les formes ont ete faconnees il y a dix mille ans par des geants en colere...

Il est 22h30, retour a mon hotel. Les nuages et la buee dans mon esprit ont maintenant cede la place a une nuit etoilee, ou la lune illumine pensees et souvenirs, qui resteront a jamais graves derriere la petite tache rouge... qui commence doucement a retrouver sa teinte rose, et qui sourie avant de s'endormir.